Deuxieme partie .
" La bataille du drapeau "
A Alger le comite directeur du P.P.A., decide "d'organiser le 1 mai
1945
autour du drapeau algerien, de grandes manifestations qui permettront
de
voir si les masses populaires sont pretes a suivre les mots d'ordre
de
l'action direct et du soulevement".
La direction locale des A.M.L., demande au prefet Perollier d'organiser
a
l'occasion de la fete du travail un defile qui, partant de Bab el Oued,
rejoindrait devant la grande poste, le cortege de la C.G.T., et du
parti
communiste algerie.
Le defile de 20.000 personnes s'engage a 17:30 dans la rue d'Isly.
Des
soldats francais qui ont pris position devant le siege de la Xieme
region
miltaire, ouvrent soudainement le feu sur les drapeaux algeriens deployes
et
blessent a mort Mohamed El-Haffaf, qui tombe en criant a son voisin
" je
suis touche reprend le drapeau Algerien". Trois autres militants du
P.P.A.,
Abdelkader Ziar, de Saint Eugene, Mohamed Laimeche et Ahmed Boughalmalah,
sont tues sur le coup ( sept autres mourront dans les jours suivant
des
suites de leurs blessures ). Apres une dizaine de minute d'affolement
et de
confusion, le cortege reprend sa marche, qu'il termine sur l'esplanade
de
la Grande Poste.
Le lendemain tandis qu'une foule enorme assiste a l'enterrement d'El-Haffaf,
on apprend que des incidents violents et parfois sanglants ont marque
les
defiles du 1 mai a Oran ( 1 mort ), Bougie et Guelma. Constatant que
les
autorites francaises semblent bien decidees a employer tous les moyeins
pour
que le drapeau algerien ne soit pas deployer dans les manifestations,
le
comite directeur du P.P.A., discute longuement pour savoir s'il est
opportun, dans ces conditions de pousser les A.M.L. a organiser de
nouvelles
demonstrations a l'occasion de la fete de la victoire. Il est finalement
convenu de laisser la direction de chaque Daira agir de manieres autonome
et
evaluer le rapport des forces sur le terrain, pour savoir si elles
doivent
ou non prendre une telle initiative.
A Setif le 8 mai 1945, un grand defile algerien emprunte la rue d'Angleterre
puis la rue du 3ieme Tirailleurs et debouche, vers 9:15, sur l'artere
centrale de Setif la rue Georges-Clemenceau, ex rue de Constantine.
Sur les trottoirs, les Algeriens applaudissent et les Algeriennes poussent
leurs "You You ". Alors que les premiers manifestants sont arrives
a la
hauteur de la librairie Mesquida, les derniers pietinent encore devant
la
mosquee, distante de 600 metres environ. Beaucoup chantent le chant
patriotique que les scouts musulmans ont compose l'annee precedante,
qu'ils
ont fait connaitre au camp de Tlemcen et qui est devenu rapidement
populaire :
Min djebalina
Talaa saout al ahrar
Younadina al istiqlal
Listiqlal oitnina
( du fond des montagnes s'eleve la voix des hommes libres l'independance
nous
appele ).
Arrives a la hauteur du Cafe de France, les scouts entonnent un nouveau
chant nationaliste: Hayou Ifriqiya! (leve toi, Afrique), lorsque le
commissaire de la PJ Lucien Olivieri et les inspecteurs Lafont et Haas
entrent dans le cortege et somment les responsable des A.M.L. qu'ils
trouvent devant eux de faire disparaitre les pancartes et le drapeau
algerien. Ceux-ci refusent. Une bousculade s'ensuit. Le commissaire
Olivieri
tire un coup de feu en l'air. A ce signal, les policiers qui se trouvaient
de part et d'autre du cortege se groupent devant les manifestants.
D'autres
sortis des cafes et des voitures, viennent les renforcer. Certains
tirent au
revolver sur les Algeriens qui leur font face, tuant le porte-drapeau
Bouzid, un des porteurs de gerbe que l'on surnommait " Le petit Poucet",
et
deux de leurs compagnons.
De nombreux manifestants se sauvent sous les arcades et dans les rues
voisines. D'autres furieux, attaquent a coups de baton et a coup de
couteau,
dans les rue et a la terrasse des cafes, les Europeens qu'ils rencontrent,
tuant vingt-neuf personnes.
Devant le Cafe de France, les responsable des A.M.L. ordonnent d'enlever
les
morts et blesses, font reformer le cortege a la hauteur de la rue Sillegue,
l'amenent au monument aux morts pour le depot des gerbes et la minute
de
silence.
Les campagnards algeriens venus pour le marche qui rentrent chez eux
et qui
font le recit du massacre du Cafe de France provoquent des reactions
ou la
peur se mele a la soif de vengeance.
La semaine sanglante
Dans l'apres-midi du 8 mai, le "telephone arabe" apporte des hauts plateaux
du Tell jusque dans les bleds les plus recules, les nouvelles de Setif
et de
Guelma. En disant de nombreux endroits, les hommes disent :" Nos freres
des
villes ont ete massacres. Il faut les venger." Parmis les plus politises,
certains militants locaux du P.P.A. pensent que le moment est venu
de mettre
en application la "Directive d'action direct".
Au jour de la colere, l'offensive contre les Europeens deferle de Setif
a la
mer. Elle est parfois organisee par des groupes de choc qui sont alles
sortir les armes de leurs cachettes, mais elle apparait le plus souvent
aussi spontanee que violente. Le bilan des victimes europeennes dresse
au
soir du 9 mai par le prefet de Constantine est de 103 morts y compris
les 29
de Setif et de 110 blesses. Certain Europeens s'etaient deja constituer
en "
milices de defence". Au soir du 9 mai, de telles milices se multiplent
dans
tout le constantinois et quelques-unes enrolent des prisonniers de
guerre
allemends et italiens travaillant dans les fermes. Ces groupent exercent,
contre les Algeriens, des vengeances sanglantes.
La marine est engagee et le " Duguay-Trouin " bombarde depuis le golf
de
bougie, les douars des communes mixtes de Timimoun et d'Oued-Marsa.
Les
Algeriens captures au cours des operations d'infanterie sont emprisonnes
et
parfois executes. Les operations repressive de l'armee sont severes
et les
villages ou l'insurrection a ete la mieux organisee et la plus dure
paient
un prix particulierement lourd. C'est cependant a Setif, Guelma et
Kerrata
que la repression est la plus meurtriere : des centaines de morts.
Vers la
fin de la "semaine sanglante " certains responsables P.P.A du Constantinois
partent pour Alger et demandent au comite directeur du parti clandestin
de
lancer enfin la directive d'action directe et de " provoquer ainssi
un
soulevement general de nature a soulager les populations des regions
de
Setif, Guelma et Bougie qui supportent seules le poids des operations
militaires francaises " Le comite directeur accepte leur suggestion,
mais
decide que l'ordre d'insurrection ne devra etre donne qu'a la fin de
mai, "
car il faut au moins quinze jours pour preparer la lutte ". Les delegues
presents a Alger regagnent leurs regions pour transmettre aux differents
niveaux hierarchiques du parti les nouvelles consignes.
Le Fosse:
Deux faits viennent cependant contrecarrer ces plans. Les services de
rensignements du Gouvernement general, tout d'abord, interceptent sur
un
courrier clandestin, arrete par la police, de precieuses informations
sur
les projets en cours, et le P.P.A. ne peut plus, du coup, esperer beneficier
de l'effet de surprise sur lequel il comptait. Les dirigeants du parti
doivent, de plus, constater que, contrairement a leurs calculs, des
" Zones
de dissidence " ne se constituent pas dans le Constantinois : les forces
francaises ont par le fer et par le feu, retabli un ordre complet et
controlent totalement la situation. Pour ces deux raisons, le soulevement
general est annule par le comite directeur du P.P.A., .Le passage de
l'ordre
au contrordre (egalement transmis de bouche a oreille ) est si brusque
que
certains responsables de regions ne seront pas touches et que des
installations militaires et civiles europeennes seront attaquees, par
exemple a DELLYS, en GRANDE KABYLIE, a CHERCHELL et a SAIDA (offensive
d'un
commondo de l'Algero-Marocain Belhacene ).
Menees dans le cadre d'une stategie mal preparee et mal executee, ces
regiohn se transforme en autant d'operations-suicide.
A l'heure des bilans, un communique officiel du Gouvernement general
declare
que les operations du retablissement de l'ordre ont fait 1150 tues
du cote
algeriens. L'etat-major du colonel Bourdila, commandant la subdivision
de
Setif, avance officieusement le chiffre de 7500 victimes, qui est double
par
la commission d'enquete- presidee par le general Tubert envoyee sur
les
lieux par le Gouverneur general Chataigeau . Le consul Americain a
Alger
avance non sans intentions politiques le chiffre de 40.000 a 45.000
victimes
algeriennes, et l'opinion publique musulmane se refere plutot a cette
evaluation.
Si, dans la seconde quinzaine de mai le sang cesse de couler, la repression
policiere et judiciaire, qui a commence des le 9 mai sous le regime
de la
loi martiale, bat son plein dans toute l'Algerie, et notament dans
le
Constantinois, contre les Algeriens suspects d'action ou de propagande
nationaliste ; les A.M.L., les principaux adjoints de Fehat Abbas -
Ahmed
Francis - Ahmed Boumendjel -, Me Kaddour Satour, Me Mostepha Elhadj,
batonnier du bareau de Setif, le Dr Ben Khellil, Aziz Kessous, directeur
de
l'hebdomadaire Egalite, qui vient d'etre interdit sont arrete, tout
comme
leur chef et tout comme deux leaders de l'Association des ulemas, Bachir
El
Ibrahimi et le cheikh Khereddine. Sont egalement arretes des leaders
P.P.A.
comme Mohamed Khider, Abdallah Filali, Larbi Ben M'hidi,Souyah Houari,
Ahmed
Bouguarra, le futur colonel de l'A.L.N., Si M'hamed, Ben Youcef Ben
Khedda
ces trois derniers respectivement responsables locaux du P.P.A. a Oran,
Affreville et Blida.
Quelques leaders nationalistes importants echappent cependant au coup
de
filet. Belouizdad s'enfuit de son domicile d'Alger par les terrasses,
alors
qu'on vient l'arreter chez lui, et rejoint, a Constantine, Taieb Boulahrouf
qui se cache dans le kiosque a tabac proche de la paserelle Perregaux.
Lamine Debaghine se tire lui aussi d'affaireet, deguise en paysan,
se
refugie au Maroc, ou il est acceuilli par un jeune etudiant
nationalistequ'il a connu a l'universite d'Alger, Mehdi Ben Barka.
Rabah
Bitat passe quelque temps dans le camp des scouts Algeriens de Sidi
Ferruch, qui abrite plusieurs fugitifs recherches comme lui par la
police.
5.000 detenus, selon les chiffres officieles 10.000, selon les notablent
Algeriens peuplent les camps d'internement du sud (Bossuet, Mecheria,
Aumale,etc.) les prisons d'Alger et de Maison-Carre, la prison d'Oran,
celle
de Lambese dans l'Aures, celle de Koudiat a Constantine ( ou est envoye
un
Europeen, alors communiste, le docteur Catouard, qui a protester contre
la
repression ). La justice est expeditive et severe : un Algerien de
Bone est
condamne a deux ans de prison ferme pour "outrage par regard a sous
prefet".
Les sentences des tribunaux militaires frappent 1500 personnes
{99 condamnes a mort, 64 aux travaux forces a perpetuite,
329 aux travaux forces a tepms}.
La plupart des emprisonnes et internes seront elargis a l'occasion
d'une
grande amnestie, en mars 1946, mais certains des condamnes tel le militant
P.P.A. de Kouba, Amar Foughali, ne seront liberes que dix sept ans
plus
tard, quand l'Algerie deviendra independante.
Les evenements de mai 1945 marque une date cruciale dans l'histoire
de
l'Algerie, car ils creusent le fosse entre la communaute europeenne
et la
communaute musulmane.
On peut observer, en mai 1945, que si la rebellion algerienne a commence
dans l'Aures et s'est etendue a la Grande Kabylie, c'est dans le
quadrilatere Bougie-Setif-Souk-Ahras-Bone qu'elle s'est le plus profondement
implantee. Ce quadrilatere, c'est le territoire dela Willaya 1. La
zone ou
la semaine sanglante du 9 au 16 mai 1945 a fait le plus de victimes.
La
guerre d'Algerie a commence, en verite, en mai 1945.
Fin
Youcef Zertouti (Historia magazine)